Cela fait 20 ans cette année que je suis dans le domaine de la création graphique et de la communication visuelle (campagne de pub, identité graphique, com visuelle, image, etc.).
Mais en observant ce parcours avec du « recul », ces années passées en tant que directeur artistique free-lance (ou en salarié) dans l’univers des agences et dans le monde de la communication publicitaire, m’ont laissé un goût étrangement amer…
Sur le moment, impossible de m’en rendre compte car on se trouve dans une zone de confort qui entretient parfaitement l’illusion, une sorte d’aveuglement consenti, que tout un chacun pourra comprendre.
On poursuit sa route à l’image de nos prédécesseurs, en calant plus ou moins ses pas sur ceux déjà tracés.
On intègre les rouages d’un énorme moteur sans en apercevoir ses limites.
Petite anecdote pour introduire mon propos et les digressions qui vont suivre.
J’ai participé, il y a quelque temps, à une réunion/conférence sur « zoom » avec des acteurs locaux et associatifs.
En face de moi, j’ai une quinzaine de personnes en vignettes à l’écran, qui pour la plupart évoluaient ou traitaient des problèmes environnementaux, territoriaux, d’agricultures, d’éducations, de santés, de précarités… bref, des personnes très éloignées du milieu de la « com ».
Vient le moment des présentations et à mon tour j’explique brièvement que je suis un créatif, un directeur artistique dans le domaine de la pub et de la communication visuelle…
Il y a eu un blanc, comme si je venais venait de dégoiser une grossièreté sans nom.
J’avais l’impression étrange d’être un « affranchi » dans un film de Scorsese.
Un extraterrestre au milieu d’humain. Ou l’inverse…
S’en est suivi rapidement quelques remarques sarcastiques, douces amères sur la pub, la « com », des critiques déguisées en blagues, des lieux communs (ou pas). J’en ai moi même plaisanté avec un certain plaisir comme si j’étais extérieur à ce monde.
Il est vrai que notre débat du jour était tellement antinomique de mon univers professionnel…
Quoi qu’il en soit, au delà de l’aspect superficiel de cette situation, mon activité professionnelle se trouvait comme en décalage, voir en opposition avec leurs aspirations.
Je suppose que comme une sorte d’approche diachronique; la « publicité », la « com visuelle », le « marketing », tous ces termes sont devenues des « gros mots ».
Une « vulgarité » quasiment inscrite au fil du temps dans l’inconscient collectif.
Le trait a été grossi maladroitement ou avec talent par des générations d’humoristes, d’acteurs, de films, d’ouvrages, d’artistes, d’articles, de débats… des années 60 aux années 2000. Le milieu de la « com » est passé dans toutes les moulinettes, jusqu’à la caricature la plus extrême.
Depuis cette anecdote, j’ai moi même voulu comprendre pourquoi je développais une certaine défiance envers mon univers professionnel. Une sorte d’opposition s’installait entre mes propres valeurs, ma créativité et mon métier. Cette défiance n’est pas nouvelle mais elle a fini pas s’inscrire dans le temps long. Il est donc temps pour moi d’analyser un peu tout ça et de comprendre le pourquoi du comment.
La publicité est pourtant l’action de rendre public dans le sens noble du terme.
Cette « noblesse » d’action s’est-elle effacée avec le temps ?
Et si simplement cette « noblesse » n’avait jamais réellement existé ?
Soyons réaliste, la publicité et par extension le « marketing » (ou inversement), n’ont fait que véhiculer, infuser, éduquer les individus dans un logique consumériste aberrante, une éloge du superflu en forçant l’acte d’achat.
Ils ne sont finalement basés que sur le culte de la performance et de la croissance infinie servant un système socio-économique malade que l’on pourrait définir comme un système patriarcal névrosé et obsessionnel. Et c’est sur point que je rejoins Fred Vargas qui en parle en ces termes dans son livre.
Finalement, en regardant un peu en arrière, on constate que ce secteur a grandi à l’ombre du capitalisme. Cette vision économique du libéralisme répondait à la relance de la consommation après la fin de la seconde guerre mondiale.
Puis depuis les années 50, le néolibéralisme nous plonge dans l’ère de la consommation de masse et de la prédation à plus grande échelle.
Les années 60 ne font qu’enfoncer le clou un peu plus, c’est le début d’un âge d’or pour le marketing et la pub. La sur-consommation s’accélère, l’agriculture intensive prend une ampleur incroyable, la mobilité d’échanges est un moteur de l’économie, les énergies fossiles ont dopé l’homme avec une absence totale de préoccupation envers l’environnement.
La « com » et le « marketing », greffés à ce système, ont grandi en symbiose totale jusqu’à nos jours.
70 ans passés sur les même fondations, 70 ans d’acquis sans aucune réelle remise en question…
Qui peut encore se permettre ça ?
Avez-vous remarqué comme la communication, la pub… sont quasiment absentes, ou plutôt maladroitement présente, dans l’économie circulaire et dans la construction d’image éco-responsable ?
Nous reconnaissons que l’écologie avec le temps est devenue un formidable terrain d’inspiration pour les publicitaires, les communicants, quitte à en biaiser ses messages, ses discours, devenant inévitablement des sophismes.
Ce détournement est assumé, car c’est un phénomène qui est fatalement raccroché au réel d’une mécanique de croissance et de consommation sans éthique. Un extraordinaire terreau pour le marketing et la communication à l’aune d’une économie mondialisée ultra libérale et pourtant, en totale contradiction avec des principes si salutaires d’éco-responsabilités.
Doit-on continuer de laisser faire cette altération du discours « écolo » qui rendent ces messages presque inaudibles dans l’espace public en participant au clivage et à la désinformation autour de ces thèmes ?
Il est évident et urgent que le monde de la communication et du marketing doivent se réformer profondément et rapidement, sous peine de perdre toute légitimité de communiquer.
Je vous parle là d’un véritable engagement auprès et avec des annonceurs conscientisés et responsables.
La vision des marchés et de sa promotion par la communication, flattant l’égo du consommateur en entretenant cette logique économique perverse, n’est plus en phase avec l’époque, ni avec ses contraintes, ni avec ses cibles.
C’est tout un secteur qui s’est désynchronisé du monde en créant son propre espace temps.
L’arrivée de nouveaux publics sur les territoires des marques a été une opportunité de revoir sa copie pour l’ensemble des acteurs.
On a alors vu débarqué le concept de « génération » autour de théories fumeuses X et Y, un concept né dans la tête d’un prof de management fan de sociologie et de marketing.
En effet, les « millennials » (génération « Y » : nées entre 1980 et 2000) prennent leurs marques en s’affirmant. Leur côté impatient renverse les discours et les doctrines en place. Ils détestent la routine de vie et dans beaucoup de « business model », ils sont carrément devenus « le produit » (merci Facebook).
Puis la fameuse et si spéciale génération « Z »(à partir de 2000), soi-disant accroc aux marques, hyper-connectée, « digital native », impatiente, exigeante… va tout balayer. Pour eux le lien importe plus que le bien (matériel). Incroyable !
Le monde de la communication, du marketing et les gros annonceurs qui ont cru avoir cerné et résumé ces générations dans une « start-up nation » tout droit sorties de l‘alphabet à coup d’études, de recherches théoriques, d’enquêtes et de sondages divers et variés… se sont trompés.
Je pense que c’était une erreur de vouloir absolument accorder autant d’importance à cette différenciation entre les générations.
En effet, on ne peut pas résumer des générations entières au cadre théorique d’un « alphabet ». Bien au contraire, il s’agit pour moi d’individus singuliers ayant chacun des différences de points de vue, des agrégats de données souterraines complexes et d’indignations multiples, souvent profondes. Un ensemble de désirs hétérogènes allant de l’esprit de contradiction sans cesse en mouvement, d’émancipation et de liberté.
En conséquence, le fait de ne pas prendre en compte cette singularité rend absconses toutes tentatives d’interprétations. Ces doctrines ne se sont-elles pas aveuglées au travers du prisme déformant d’un univers que l’on a voulu « marketer » ?
Et les algorithmes récents d’analyses ou prédictives si puissants soient-ils, n’y peuvent rien changer car ils portent en eux les erreurs théoriques, orientées et cognitives de leur concepteur d’origine; l’homme de la génération précédente.
Car la génération « Z » n’est déjà plus la génération « Z ».
L’écologie qui est devenue inspiratrice de nouveaux messages depuis les années 90, a ouvert d’autres territoires très excitants pour les marketeurs, les créatifs, les publicitaires… afin de séduire ces nouvelles générations.
Est alors réapparu une vieille technique de manipulation marketing : le greenwashing. Ce principe existe depuis les années 1960 et servait à lutter contre le mouvement de protestation antinucléaire. J’imagine que certains ont jugé cette technique, à la fois, suffisamment pertinente pour séduire ces nouvelles cibles et une réponse efficace face une pression grandissante de l’idée d’écologie dans les années 2000.
Mais le greenwashing a été si inintelligemment employé durant ces 15 dernières années en détruisant toutes formes d’authenticité, qu’il sera difficile d’endiguer la défiance, qui s’est installée fiévreusement dans l’esprit des générations « X, Y, Z » à l’encontre de ce verdissage maladroit des messages.
—–
challenges.fr : Baskets écolo – Adidas pris en flagrant délit de greenwashing ?
lexpress.fr : le flop 10 des pubs pseudo-ecolos
slate.fr : Bienvenue dans l’ère du «greenwashing» : les nouvelles astuces pour vendre plus vert
greenpeace.fr : derrière les mensonges de volkswagen la face cachée d’une industrie
—–
Autant vous dire que pour toutes ces générations « conscientisées », qui ont un haut rapport à la compétence et au savoir grâce aux échanges physiques et virtuelles, perçoivent cet écoblanchiment (in french 😉 ) comme un poussin jaune sur une toile noire.
Elles ont d’ailleurs assez bien intégré et identifié ces dérives pour ne pas se laisser totalement piéger par cette mascarade. Inévitablement, les générations suivantes, nos enfants… vont finir par la rejeter violemment, surtout quand ils auront compris l’héritage que nous leurs avons laissé.
Pour illustrer mon propos, beaucoup de jeunes diplômés vont chercher les informations RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) d’une entreprise pour choisir en toute connaissance de cause leur futur employeur. Gare à ceux qui auraient écarté toutes notions de développement durable et d’éco-responsabilité.
Par conséquent, il est invraisemblable, encore de nos jours, de façonner des messages flous qui se passent de preuves concrètes, mesurables et vérifiables. Des discours faussement positifs et souvent mensongers en se parant d’une bonne conscience « verte » juste pour vendre ou croître toujours plus. C’est une flagrante semblance d’escroquerie qui récuse toute forme d’intelligence.
Le « greenwashing » n’est ni plus ni moins qu’une énième tentative désespérée de préserver un modèle socio-économique mortifère vieux de 70 ans en tentant d’en masquer maladroitement ses dérives. Ce manque éclatant de vision à long terme nous mène droit dans le mur.
Il est donc urgent que les « communicants » (agences…) arrêtent de cautionner et d’accompagner le greenwashing permanent de grands groupes ou d’entreprises qui continuent de brûler la planète par les 2 pôles.
——
Coca-cola, Mc’Do, Bayer, Danone, H&M, Amazon, BP, TOTAL, Le Chat, Renault, Herta, Volkswagen, Skip, BN, Lesieur, Audi, EDF, Veolia, la Banque Postale, Orange, RATP, Ben & Jerry’s, Auchan, Areva, Engie…
——
En tant que « communicants » nous devons aider à l’émancipation des esprits par l’information justement transmise et ce, bien au-delà des générations, au diable l’alphabet.
Il conviendra de soutenir le changement sociétal généralisé, en veillant à l’éthique des messages, en faisant la promotion d’outils et de produits éco-responsables à impact positif. Nous devons donc d’accompagner nos clients dans cette transition si mal comprise et si mal anticipée pas l’ensemble des décideurs afin de retrouver un discours qui donne du sens à leurs actions, tout en réaffirmant leur rôle dans l’espace sociétal.
Car derrière chaque « cible », il y a toujours un unique décor de fond : la planète.
Nous sommes au centre d’un enjeu commun, un enjeu bien plus large que le simple « market ».
C’est une question d’avenir pour nos clients (ou une question d’équilibre, selon Cabrel…) et pour tous les communicants.
Si le « marketing » est l’éloge de la profusion et de l’offre multiple, qui s’inscrit dans une logique de (sur)consommation et d’accélération permanente jusqu’à l’usure du sens, finit par devenir indifférent à toutes autres considérations. La communication dans sa promotion ne fait que suivre cette logique aliénante en forçant l’acte d’achat, parfois inutile.
Imaginons maintenant que dans le paysage qui se dessine, le « marketing » laisserait peu à peu sa place au « contributing » (bon sang d’anglicisme …).
Le « contributing » ! C’est quoi cette utopie ?…
Le « contributing » n’est pas une utopie, c’est une notion concrète apparue en 2015 et elle a été grandement poussée par le talentueux Denis Gancel. Une notion qui annonce simplement la mort du marketing.
Comment ? En redéfinissant leur champ d’action et leur raison d’être, les entreprises vont redéfinir leur place dans la société, en associant légitimité et perspective. Elles allieront à la fois raison d’agir et raison d’être.
Pour ma part, j’imagine le « contributing » comme une approche plus pérenne des choses ou l’échange des connaissances ne doit pas en être écarté. En se préoccupant de la conséquence de leurs actes, nos clients associeraient les actions qu’ils mènent dans une démarche à fort impact positif pour le vivant en mettant un terme au « bullshit » ambiant. En faisant œuvre utile, nos clients y gagneraient en légitimité, en image de marque et en éco-responsabilité.
De la sorte, cela permettrait à tout un chacun d’agir en accord avec des valeurs humaines tout en redonnant du sens à l’ensemble des acteurs qui contribueraient à régler les problèmes du monde.
Cela permettrait aussi d’écarter le reproche évident qui peut être fait en accusant le monde « écolo » d’être plus aptes à dénoncer qu’à apporter de vrais solutions.
Le « contributing » n’est pas un mot miracle mais c’est un support de résistance, le début d’une légitime (r)évolution autour d’un développement durable.
“ Certes, je ne maîtrise pas tout, mais j’ai la sincérité de l’approche.”
Des professionnels comme Sauveur Fernandez, fondateur de l’Éconovateur ont imaginé des applications et des principes très concrets pour une communication responsable. Quelques principes qu’une agence pourrait respecter et qui sont articulés autour de 7 points que je retranscris stricto sensu ici :
Toutes ces idées doivent spontanément nous servir d’inspiration. Certains de ces principes doivent probablement être ajustés ou approfondis. Cependant, ils doivent pouvoir nous aider à aborder, avec nos clients, une transition en douceur et suffisamment progressive pour mieux en absorber les chocs.
Nous avons des connaissances, des outils, de puissants leviers, je n’ose dire des armes, qui peuvent être utilisé(e)s dans l’action de rendre public pour faire avancer de belles idées et les promouvoir d’une manière responsable.
La communication ne peut échapper à tous ces changements. Elle fait partie intégrante du grand manège de la consommation par sa promotion qui a lourdement impacté notre planète. Elle doit devenir moteur pour toutes ces évolutions, en montrant la voie pour sortir de la caricature.
Car cela ne doit pas nous empêcher d’avancer, avancer sans être des prédateurs de notre environnement.
Nous ne pouvons rester passif face aux enjeux qui se présentent à nous.
Ne pas l’intégrer, c’est manquer d’agilité et manquer d’agilité, c’est disparaître.
La communication et l’ensemble de ses acteurs sont à un tournant, nous devons faire des choix radicaux.
Nous devons nous indigner, nous réformer en profondeur.
Cette opportunité d’agir en ce sens nous est offerte.
Une opportunité nouvelle de se reconnecter et de se synchroniser avec le monde. De ne plus être en opposition.
De mon côté, je n’ai pas toutes les réponses mais par contre, j’ai beaucoup de talent !
Vous aussi.
Alors pourquoi ne pas s’y mettre ?
“ J’avais fait mon métier d’homme et d’avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réussite exceptionnelle, mais l’accomplissement ému d’une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d’être heureux.”
Première interview :
L’éco-design par affinité et bien plus encore…